Le conflit est le plus souvent perçu de manière négative. Il est associé à des notions de violence, de crainte d’agression, ou de rejet. Il renvoie également à l’inquiétude de ses propres réactions dans des situations tendues : mes mots vont-ils dépasser ma parole lors d’un conflit où je sais que les tensions peuvent être fortes ? Comment les autres vont-ils me voir dans ce moment-là ? Vais-je craquer… ». Autant de craintes qui se justifient parfaitement. De plus, en tant qu’intervenant, nous entendons souvent questionner l’utilité d’un conflit : « ce n’est pas vraiment constructif un conflit entre nous, le plus souvent ça abîme nos relations. Alors je prends sur moi et c’est plus simple. » assure Sébastien, manager d’équipe.
Pourtant lorsqu’une équipe parvient à vivre un conflit, elle en ressort grandie, plus soudée et capable de résoudre les difficultés qu’elle a besoin de surmonter. Parvenir à vivre et à dépasser un conflit de manière saine implique d’aborder les désaccords sur des sujets de travail, de discuter des tabous, des non-dits. Cela nécessite de passer par une première étape : sortir des préjugés et des a priori que l’on peut avoir les uns sur les autres qui contribuent à empêcher de résoudre les difficultés liées et travail et de trouver une posture où chacun parvient à être écouté et entendre l’autre.
Lorsque nous rencontrons Sébastien, il nous demande d’aider son équipe à retrouver un climat de sérénité. « L’équipe travaille bien mais elle est à cran et le moindre sujet est explosif » dit-il. Sébastien explique que c’est « tout à fait normal lorsqu’on travaille dans une usine car nous sommes dans l’urgence et l’opérationnel ». Pourtant, il note que : « plus mon équipe tente d’arranger les choses et prend sur elle, plus les autres services sont exigeants, nous demandent des choses en dehors de notre scope et nous reprochent de ne pas répondre dans les temps ». Ce mécanisme a pour conséquence de mettre à rude épreuve les nerfs de son équipe, sa cohésion et sa motivation pour son travail.
Qu’est-ce que l’équipe aurait à gagner à parler de cette situation de tension qui ne cesse de monter ? De l’apaisement, une réduction de son stress et aussi une relation au travail plus motivante. « En arrêtant de perdre mon énergie à être hyper réactive et à tenter d’écoper pour être à jour pour répondre aux exigences de l’interne, je passerais de meilleurs moments et plus de temps à chercher des solutions avec l‘équipe» expliqua l’un des co-équipiers.
L’équipe exprime ses craintes quant à l’impact du coaching : « j’apprécie mes collègues mais j’ai peur que parler des problèmes gâche notre bonne entente » ? concède un membre de l’équipe. Elle craint également de parler des autres, de soi devant les autres, de dire « ce que moi ou les autres faisons mal, de nos faiblesses et de nos manquements ». L’objectif de travail se dessine à partir de ce qui motive l’équipe dans ce travail de coaching et des réponses trouvées pour pallier aux inquiétudes. L’équipe et Sébastien veut maintenir la bonne entente tout en retrouvant plus d’assise et de solidité dans le travail en équipe afin de satisfaire les autres services.
Le premier pas avec l’équipe est de comprendre avec elle ce qu’apporte cette bonne entente et le rôle qu’elle joue dans la situation. Il y a un paradoxe qui apparait dans cette « cohésion » : elle est positive en serrant les coudes des co-équipiers mais elle empêche de se dire les choses. Il y a un consensus implicite à se taire, une sorte de « loi du silence », comme la censure de la presse en temps de guerre pour ne pas décourager les troupes, sous peine d’être accusé de « haute trahison ». Cet aspect-là est donc remis en cause par l’équipe qui exprime son besoin impérieux de se parler avec honnêteté tant des relations entre eux que du travail. Les attaques extérieures étaient trop fortes, alors l’équipe comprends que le moyen qu’elle avait trouvé pour y faire face était de faire un seul bloc contre les autres afin de se préserver.
Une fois ce mécanisme mis au jour, il a été possible de reconstruire de nouvelles relations, plus solides et plus honnêtes. L’objectif était d’améliorer le niveau de confiance et de sécurité fragilisé par les multiples attaques des services externes. Impossible pour l’équipe d’aborder les problèmes liés au travail, de réaliser ou recevoir des feedbacks ou se mettre à la place de l’autre. L’accompagnement a apporté les conditions de sécurité et d’ouverture propice à la mise en place d’une communication authentique et constructive. Il a été en effet possible de discuter plus librement des réelles difficultés du travail vécues par l’équipe de Sébastien. Les discussions ont été très animées, voire conflictuelles sur certains sujets comme par exemple : « tu prends uniquement les sujets qui t’intéresse et tu laisses le reste aux autres », « tu es notre manager et tu n’es pas assez là pour nous », « lorsque je passe après toi, je ne comprends pas ce que tu a fait et du coup je ne sais pas quoi répondre au service qui a fait la demande »…
Il était devenu moins dangereux de parler de soi et des autres. La confiance était redevenue plus forte et chacun pouvait alors parler plus authentiquement, laissant plus facilement de côté ses préjugés, ses a priori et les faux semblants. L’on était écouté, l’on écoutait avec considération les autres, l’on n’était pas d’accord forcément et cela était accepté pour l’ensemble de l’équipe. Chacun pouvait parler plus facilement de ses difficultés, de ses erreurs, de ce qu’il faisait également qui contribuait aux difficultés des uns et des autres. Cette étape de confrontation des vécus, des avis et des perceptions a permis de coopérer au sein de l’équipe. Les solutions et décisions pour renforcer leur solidité et leur assise professionnelle ont émergé facilement : ils ont redéfini les responsabilités entre eux afin de communiquer clairement leur périmètre d’intervention aux autres services. Ils ont formalisé des règles de travail dont certaines ont été communiquées aux autres services (délais de réponse, attributions des dossiers…) et qu’ils se sont engagés à tenir et les défendre. Ils ont crée et communiqué sur une boite mail « hotline » pour répondre aux besoins urgents des autres services…Le regard du coach sur cet accompagnement : l’équipe était parvenue à un tel niveau de souffrance que la seule solution trouvée était de se serrer les coudes pour faire face aux attaques. Cette solution permettait de tenir tant bien que mal, d’assurer un équilibre précaire au sein de l’équipe mais contribuait à la dégradation de la situation. Pour reprendre le postulat de l’École de Palo-Alto « La solution, c’est le problème ». L’enjeu était donc de remplacer cette « solution-problème » de « se serrer les coudes pour faire face aux attaques » par la mise en place de relations plus authentiques et saines au sein de l’équipe. Ce renouvellement assura un niveau suffisant de confiance et de sécurité pour discuter et les difficultés de l’équipe qu’elles soient liées aux relations ou au travail. Si l’on reprend la métaphore de la guerre et la paix : en temps de paix, on peut ressentir davantage de sécurité, cesser d’être sur le qui-vive, ce qui se traduit par davantage d’ouverture, de curiosité, de confiance, de capacité à débattre, d’authenticité, de légèreté et d’humour, éléments essentiels à la coopération et à un travail d’équipe efficace.