Identifier et poser ses limites

Repérer et maintenir ses frontières est une compétence essentielle de « l’art d’agir sans effort ».

En effet, une fois que j’ai bien défini mes frontières, je peux me RE-POSER sur elles en toute sécurité. Si quelqu’un cherche à empiéter dessus, cela me ne me demandera que peu d’effort de les défendre.

En revanche, si je suis dans la confusion entre ce qui est moi (mes valeurs, mes opinions, ma place, mon périmètre) et ce qui n’est pas moi, je peux avoir tendance à me laisser envahir par les autres, ce qui génère frustration, colère et consomme beaucoup de carburant vital.

C’est pourquoi la première étape de l’agir sans effort pour les managers et les coachs, est une étape de structuration et d’explicitation des besoins et des attentes : une étape très « yang » !

La rentrée de septembre est le bon moment pour être bien au clair avec ses propres frontières, cela vous permettra de démarrer en douceur et sans stress. Et surtout, de conserver votre précieuse énergie pour vos priorités.            

Nina, expatriée en Asie, raconte qu’elle acceptait sans discuter des horaires de réunions avec l’Europe, qui ne tenait pas compte du décalage horaire et elle s’imposait de rester éveillée jusqu’à minuit. « J’ai attendu d’être épuisée par le manque de sommeil et le stress pour oser dire à mes collègues : c’est trop difficile de tenir ce rythme, peut-on instaurer une rotation pour que la contrainte soit à chacun son tour ? Est-ce que vous, les Européens, vous pourriez parfois vous lever plus tôt ?Dans cette expérience, j’ai appris à respecter mes propres limites c’est-à-dire à mettre en place un cadre de travail qui me permet de rester « une bonne professionnelle ». Poser des limites c’est aussi faire préciser à l’autre ses attentes, et bien définir le rôle de chacun : « Ai-je vraiment besoin de participer à cette réunion ? Qu’est-ce que tu attends de moi ? ». Une limite se conçoit donc aussi dans l’interaction avec l’autre. 

« Les limites sont le prérequis de l’empathie. Je ne peux pas me connecter à l’autre tant que je ne suis pas au clair sur mes propres frontières : où et quand « je » finis ? Où et quand « l’autre » commence et finit ? »

Brene Brown « Atlas of the heart »

Mettre en place une limite est indispensable, à la fois pour soi et pour l’autre. En discuter tranquillement ensemble permettra d’enrichir chacun et aussi la relation. En revanche, si je construis une frontière épaisse sans prendre l’autre en compte, cela va créer de l’incompréhension et de la frustration. Ou bien, si j’attends que l’autre pose la limite pour moi, cela risque de me coûter beaucoup temps et de consommer une énergie folle. 

Cela semble évident et basique, mais pour beaucoup de personnes, un travail de coaching est nécessaire pour s’autoriser à poser des limites. Ce travail de reconnection commence par apprendre à ressentir, identifier et exprimer ses besoins et ses attentes vis à vis de l’autre, par des mots et des actions.

Il y a donc au moins 3 étapes dans ce travail de délimitation des frontières :

étape n°1 – identifier ma frontière intérieur/extérieur : il s’agit d’identifier mes propres limites : beaucoup de personnes sont partiellement ou totalement coupées de leur corps. Cette dissociation corps-esprit est culturelle (merci Descartes) et souvent elle a aussi eu une utilité, dans le passé, pour se protéger d’évènements douloureux. Un processus de reconnexion à soi démarre au moment d’un coaching. Apprendre à identifier précisément et nommer ses ressentis physiques et ses sensations permet d’avoir une boussole intérieure. Cette boussole c’est l’intuition fiable de ce qui est bon/bien pour moi et de ce qui n’est pas OK/bon pour moi. Elle m’aide à prendre de bonnes décisions pour moi-même.

étape n°2 – Maintenir une frontière saine entre moi et les autres : il s’agit de poser des limites à l’autre : c’est-à-dire d’apprendre à oser dire ce dont j’ai besoin dans la relation, ce qui me gêne, et ce que j’attends de l’autre.

On peut distinguer 3 sortes de frontières : poreuses, rigides et saines

·      Frontières poreuses : je suis connectée à l’autre, à l’environnement, mais pas protégée donc j’absorbe les choses qui ne sont pas à moi (introjects de la société « il faut », « tu dois »), et je deviens l’autre c’est-à-dire, par exemple que :

–      J’absorbe les émotions et les idées de l’autre. Je me convaincs que c’est l’autre qui a raison lorsqu’il va critiquer mon travail ou me suggérer d’autres façons de faire que les miennes

–      Je fais passer les besoins de l’autre AVANT les miens (que j’ai du mal à identifier). Donc cela crée de la confusion entre moi et l’autre, les frontières sont perdues

Clotilde, coach, reconnait qu’: « avec certains clients, je me laisse trop affecter, toucher par leurs sujets avec le risque de perdre ma posture professionnelle. J’ai également un problème de limites temporelles avec mon agenda : je dis oui trop vite à mes clients et après je réalise que j’avais déjà donné cette date à un autre, et suis coincée dans des imbroglios qui me donnent des insomnies : c’est une véritable technique d’auto-sabotage ! »

Solenn, manager, a longtemps souffert de cette confusion des limites moi/l’autre dans sa vie personnelle et professionnelle. Elle avait tendance à attendre trop longtemps avant de réagir à une atteinte de ses frontières. Elle gardait le silence et laissait sa collègue empiéter sur son périmètre sans pouvoir réagir. Un jour, elle a explosé de colère, à la grande surprise de son interlocutrice qui n’avait pas soupçonné combien Solenn avait pris sur elle, depuis des jours et des semaines.« Prendre sur moi, ruminer ma frustration, ça me consommait un maximum d’énergie ! Et quand j’ai pété un câble, mon message n’avait pas d’impact, ma collègue n’a rien compris… Je me sentais ridicule. Et maintenant, la relation est brisée. » regrette-t-elle.

·      Frontières rigides : je suis protégée mais pas connectée : je bloque les inputs des autres par crainte qu’ils ne m’affectent et me déstabilisent mais du coup je suis seul(e). 

Ainsi Hervé préfère travailler seul car il est « mal à l’aise » dans ses interactions avec ses collègues. Il ferme la porte de son bureau, s’isole dans sa bulle. « Cela me permet de réaliser tous mes objectifs de la journée, sans me laisser interrompre par les autres ; Le problème c’est qu’on me reproche de « la jouer trop solo », de ne pas intégrer les besoins et les demandes de mes collègues. »

Madeleine a demandé un coaching car elle ne supportait pas les feedbacks de son entourage professionnel :« j’étais hyper susceptible, je prenais toute remarque comme une attaque personnelle, je vivais en état de guerre finalement ».

·      Frontières saines : je suis connectée à l’autre, à mon environnement et je suis protégée parce que j’ai appris à respecter et maintenir mes limites. Je contrôle la possibilité de m’ouvrir ou pas.

Sophie raconte son apprentissage pour mettre en place des limites saines avec sa fille : « je la recadre dès qu’elle commence à se plaindre ou à abuser et ne fait pas ce que je lui ai demandé. Avant, j’attendais trop longtemps avant de dire « stop ! », je retenais mon agacement. J’ai remarqué que, plus je suis claire et ferme sur mes besoins et attentes, plus elle se sent sécurisée, rassurée finalement sur ma solidité. » 

Franck, chef de projet, raconte : « Les limites ça commence par l’organisation de la journée, le cadrage. C’est aussi bien définir les relations avec les collaborateurs, la hiérarchie. Définir le cadre d’un projet : les rôles, les attendus, ce qui est acceptable pour soi. Lutter contre l’intrusion de l’autre, dire ce qu’on n’est pas prêt à faire. Par exemple, j’ai posé des limites quand :

  • J’ai dit que je voulais quitter mon précédent poste.
  • J’ai organisé le travail de mon équipe avant de partir en vacances.
  • J’ai fais un feedback à mon collègue sur ce qui a été et sur ce qui n’a pas été, après notre réunion avec les clients. 
  • J’ai mes entretiens semestriels avec mon manager : je parle de ce que je peux faire et de ce que je ne suis pas capable de faire, en termes de charge de travail. »

Manon, consultante, partage que : « j’ai longtemps attendu que les autres posent les limites pour moi. S’ils ne le faisaient pas, j’étais offusquée mais je n’osais pas le dire. S’en suivaient alors des ruminations épuisantes. Mais aujourd’hui, je sais que c’est parce que je définissais mal mes frontières : soit je ne les voyais pas, soit je ne les trouvais pas légitimes. Mon apprentissage s’est fait dans tous les domaines de ma vie. En tant que parent, il s’agissait notamment d’exercer mon autorité avec justesse et clarté afin que mes enfants soient sécurisés et « bien élevés ». Professionnellement, l’enjeu était de ne pas me laisser envahir par les demandes de mes clients et de garder la main sur mon cadre de travail. En amitié, je souhaitais pouvoir exister, oser parler de moi plutôt que passer mon temps à être au service de l’autre et à l’écouter. »

C’est parce que je sais me « différencier » de l’autre, oser être moi-même, que je peux aussi à certains moments décider de « fusionner » pour quelques minutes ou quelques heures, en conscience. C’est très agréable de vivre des moments de cohésion d’équipe, où le sentiment que « nous ne faisons qu’un » prédomine.

C’est parce que je suis capable de maintenir mes frontières que je peux aussi décider de me connecter à l’autre en confiance, quand c’est le bon moment pour moi. Mes frontières sont alors souples, flexibles, et j’en garde le contrôle, ce qui est très sécurisant.

étape n°3 – Préserver la frontière entre les différents contextes

Cette 3e étape est évidemment très reliée aux 2 précédentes en ce sens que si je sais déjà bien identifier et maintenir la frontière intérieur/extérieur (étape n°1), c’est bien plus facile de maintenir une frontière saine avec les autres (étape n°2), et de savoir ensuite bien distinguer les différents contextes de ma vie et la posture adéquate (étape n°3). 

Nous appelons « contextes » les différents cadres ou espaces de notre vie : familial, amical, professionnel(s) si l’on a plusieurs métiers ou « casquettes ».

Ce que nous observons dans notre métier de coach, c’est que ces différents contextes ont tendance à se superposer voir à se mélanger. Et c’est là que les problèmes apparaissent. 

Ainsi, de nombreux clients viennent travailler en coaching leur difficulté à séparer le « professionnel » du « personnel » et adoptent une posture qui n’est pas adaptée au contexte. Par exemple :

–       Un dirigeant de start up qui a des relations trop amicales avec ses équipiers, et du coup ne parvient pas à prendre des décisions difficiles ; 

–       Une manager qui « materne » tant ses troupes qu’elle ne délègue pas suffisamment (pour les protéger) et les empêche de prendre leur place ;

–       Toute personne qui retravaille systématiquement le soir et le week-end (en dehors des heures contractuelles), laissant ainsi son contexte professionnel envahir son contexte personnel, se met en danger physique et émotionnel, sans parler des conséquences relationnelles sur son entourage

–       Un coach qui donne des conseils à ses clients (posture de consultant « sachant ») plutôt que de les accompagner à trouver leurs solutions en autonomie. 

Ma capacité à être conscient(e), à chaque instant, du contexte dans lequel je me trouve et à adopter la posture adéquate à ce contexte, est garante de ma tranquillité d’esprit, de mon bien-être et de mon professionnalisme.

Des techniques douces pour maintenir ses frontières en souplesse

·      Ralentir et prendre soin de soi

Franck, chef de projet, souhaite « parvenir à me poser mes propres limites : savoir m’économiser, mieux gérer mon temps et mon investissement pour éviter de me mettre dans le rouge. Ne pas m’emballer, ne pas aller trop vite. » 

Sa technique : « respirer et se masser les poignets », bref, de retrouver le contact avec son corps comme un point d’appui, un ancrage pour poser des limites saines à l’autre.

·      Verbaliser : expliciter ses besoins et ses limites afin de préserver la relation

Florence, étudiante, reconnait que « parfois, j’atteins mes limites sans m’en être rendue compte et j’ai un mouvement de retrait qui peut être perturbant pour l’autre »

Sa technique : « verbaliser à l’avance, dire ce qu’il risque de se passer : ne vous vexez pas si je disparais ».

·      Formuler des attentes précises 

Solenn, manager, se donne comme objectif de « prendre conscience plus vite, plus tôt de mes besoins et de ce qui ne me convient pas. Oser dire quand cela ne me convient pas. 

Sa technique : « dès le démarrage d’une relation ou d’un projet, dire tout de suite : « voilà, j’ai besoin de cela pour travailler en confiance, et j’attends ceci de toi », plutôt que d’espérer que les autres devinent mes besoins. »

·      S’appuyer sur un cadre tangible

Clotilde, coach, se promet de : « m’appuyer davantage sur la déontologie qui me protège de la confusion affective. Me donner du temps avant de prendre une décision pour laisser infuser plutôt que de me précipiter pour répondre ou agir dans la réactivité.»

Sa technique : « attendre, respirer calmement pour me réguler, et temporiser. »

·      Confronter et assumer les conséquences

Manon, consultante conseille « d’abord identifier ce que je veux dans une situation ou une relation, ce que je suis prête à donner ou pas. Ensuite, me positionner clairement, ne pas essayer de deviner ce que l’autre attend ou de rester dans des formulations floues qui risquent de faire primer les besoins de l’autre sur les miens. Clairement, il s’agit de repérer et d’assumer ma position, quitte à déplaire ou me confronter à l’autre. »

Sa technique : « prendre le temps de m’interroger à la fois sur ce que je peux/peux et aussi sur mon ressenti qui est un bon indicateur de limite. Si je me sens mal à l’aise, c’est souvent que je suis en train de prendre sur moi, de me négliger… Une autre astuce est de réfléchir aux conséquences si la situation ou la relation se poursuit de la même façon : est-ce que cela m’ira ou pas ? »

3 exercices pour identifier et maintenir  ses frontières au quotidien :

1.    Écouter son ressenti : est-ce que cette relation avec X me convient ou pas ? est-ce que je me sens à l’aise ? est-ce que c’est juste ? équitable ? Est-ce qu’au contraire je me sens piégée ? envahie ?…

2.    Se confronter à ses propres valeurs : qu’est-ce qui est acceptable et inacceptable pour moi dans ce contexte/cette relation ? et pourquoi ?

3.    Transformer les reproches (non-dits ou mal dits) en demandes.

–       Phase de préparation : dessinez 3 colonnes

1.    Ce que j’apprécie dans notre relation/collaboration et que j’aimerais que tu continues de faire ou dire ….

2.    Ce que je te demande d’arrêter de faire ou dire …

3.    Ce que j’aimerai que tu fasses ou dises …

–       Phase de feedback en « je » : vous pouvez alors donner un feedback qui sera entendu car il n’est pas accusatoire et vous vous sentirez soulagé. 

Nous vous souhaitons une rentrée douce et sans effort, comme l’a été l’écriture à quatre mains de cet article.

Magali Thoraval & Chloé Ascencio

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