Récits de la crise COVID et cérémonie de la reconnaissance à l’hôpital public.

Mi-mai 2020, la France se dé confine, le pic de crise de la COVID 19 à laquelle les personnels des hôpitaux parisiens de l’AP-HP ont dû faire face est derrière nous. Le DRH d’un grand groupe hospitalier nous sollicite (DRH du siège) pour les aider à mettre en place un dispositif d’écoute tourné vers les soignants pour garder une trace des expériences vécues pendant la crise, et surtout pour leur donner de la reconnaissance.

Nous y voyons un terrain idéal pour monter un dispositif qui donne la parole aux professionnels de terrain en s’appuyant sur les principes des pratiques narratives (développées en Australie et en Nouvelle Zélande dans les années 1990/2000 par Michael White et David Epson) : écouter les récits individuels, partager une histoire collective, inviter des témoins extérieurs, faire des re-narrations, écrire une documentation, préparer une cérémonie définitionnelle avec pour fil rouge la reconnaissance des professionnels concernés. . Nous nommons la démarche « Témoignages des réussites collectives pendant la crise, les histoires extra – ordinaires de la crise du Covid 19 ».

D’expérience nous savons la difficulté à « sortir les soignants » de leur poste de travail, l’intensité de l’effort qu’ils ont fourni, l’épuisement, mais aussi la pudeur et même l’impossible partage du vécu de la crise.  Notre dispositif doit être rythmé et chaque séquence doit leur faire du bien, et produire une forme de reconnaissance.  Nous sommes les premiers témoins extérieurs de leurs histoires.

Nous posons les bases du volontariat, de la production d’une documentation (texte, frise, arbre, audio, vidéo…), de la composition d’un groupe mixte intégrant soignants, cadres, médecins ayant comme lien une histoire de travail commun pendant la crise, ainsi que l’idée de la cérémonie définitionnelle devant des témoins en fin de démarche pour amplifier, faire résonner les témoignages.

Le groupe est issu de l’hôpital Beaujon situé à Clichy, de la réa Sergent, du nom d’un bâtiment destiné à la démolition, qui a été aménagé pour accueillir en réanimation l’exceptionnel afflux de patients. Tous volontaires, ils ont des métiers différents : un médecin réanimateur, plusieurs aides-soignantes, infirmier(e)s, des cadres de santé, un agent de la logistique, ils ont été réquisitionné et se sont coordonnés pour faire face au nombre de malades et à la gravité de leur état dans un contexte d’urgence permanente et inédite.

Notre dispositif se structure en 3 temps :

Séquence 1 : Des entretiens à 3. L’essentiel de la méthode consiste à proposer un guide d’entretien et à définir les rôles : un narrateur, un intervieweur, et un témoin qui prend des notes. Les rôles sont tournants et l’intimité du trinôme permet à chacun son tour de s’exprimer sur les moments forts et les épreuves, et les ressources intérieures et les soutiens, d’être écouté avec beaucoup d’attention et de partager d’émotion, de commencer à documenter…

A l’issue de cette séquence nous rédigeons le texte ci-dessous en reprenant certains de leurs mots écrits, et entendus, pour garder les fines traces des histoires de cette l’équipe face à la détresse des patients et des familles. Ce texte n’a eu de cesse d’évoluer, d’être épaissi au fil de leurs récits.

On l’a fait ensemble

Réquisition par SMS, attente, tension intérieure, stress, angoisse.

Peur, peur de l’inconnu, peur de l’échec, peur de la contamination,

La pression, ne pas en dormir de la nuit, en pleurer sur son vélo.

Ne pas s’attacher aux patients. Rester humain.

Est-ce qu’on va en être capable ? Est-ce qu’on va s’entendre ? Est-ce qu’on va résister ?

L’ouverture de Sergent, le montage. Ça y est on s’organise. Les protocoles, les réunions.

Le choc :

Le nombre de malades, leur état, la lutte contre le virus, les décès

La solitude des mourants, les appels des familles, les interdictions de visites, les adieux par face time, les larmes au téléphone, les derniers mots, nos visages,

109 patients

On se sent utile

Malgré l’épuisement et la charge de travail, le manque de matériel, les ruptures de stock, la pénurie de médicaments, les locaux inadaptés, les combinaisons dans lesquelles on crève de chaud

On a transpiré comme jamais,

On n’a pas baissé les bras, on est allé de l’avant, on s’est organisé, on s’est réorganisé, on s’est adapté chaque jour,

Toujours en faire plus, ne pas baisser les bras, on était à fond.

L’entraide est devenue une force, le rire une thérapie

Les cadres de proximité, les collègues, les médecins, les IADE nos anti-stress, les IDE, les logisticiens, les sourires même derrière les masques, la solidarité nationale, les remerciements nous ont aidé à tenir.

Les encouragements nous ont re-boosté.

On était une super belle équipe, on sentait l’écoute des supérieurs, des médecins, les cadres étaient des piliers.

Former des nouveaux arrivants rapidement, donner confiance aux gens de province, encadrer les ESI

On a pu y arriver grâce à l’équipe,

On n’était jamais seul, on s’est donné de la force.

On s’est tous effondré mais il y avait toujours quelqu’un pour nous relever.

On a pleuré, on a ri, on a tout donné.

Pour encaisser les décès, la lourdeur des prises en charge, les dégradations rapides de l’état des patients, pour soutenir les familles désemparées.

Et puis il y a eu l’espoir, les patients qui sortent de la réanimation, ce papa qui survit pour la naissance de son 3ème enfant

Entre nous on se ressourçait, on retrouvait la bonne humeur, une main toujours tendue

Les déjeuners en commun sur la dalle, dans un silence de plomb, il y avait parfois un rire qui fusait

La chaleur humaine

Tout le monde était content de venir travailler.

Avec bienveillance, écoute, équité.

Ensemble on a réduit la peur, on a surpassé nos peurs.

Cette expérience a été une leçon de vie.

Beaucoup de fatigue, on est sur les rotules, on sent le coup de déprime.

Difficile de décrocher. Difficile d’en parler. Difficile de revenir à la vie d’avant.

On était tellement bien ensemble qu’on voulait rester même si c’était fermé.

La fermeture on l’a pris en pleine face, déboussolé, perdu.

C’est allé tellement vite qu’on n’a pas vu le temps passer.

Ça a donné un sens à notre métier, on s’est réconcilié avec la profession, une renaissance.

On a retrouvé le soin, on a pris soin de l’autre

On pourrait le refaire, on saurait s’organiser mais on ne voudrait pas revoir ce qu’on a vu, on n’est pas imperméable à la tristesse

On a découvert nos forces, on a découvert notre courage.

Fierté.

On l’a fait ensemble.

Et après, et demain

Besoin de se reposer, de prendre des congés, de passer du temps avec sa famille qu’on n’a pas beaucoup vu

Profiter de la vie

L’envie de ne plus repousser à demain ce qu’on peut faire aujourd’hui

Continuer à se développer

Se réaliser, se former, organiser un séminaire, actualiser les procédures

Partager, transmettre ses compétences, donner confiance aux autres

Valoriser le bien-être au travail

Dire ce qu’on a sur le cœur

Avoir des projets

Toujours regarder plus loin

Se sentir pousser des ailes.

Témoignage collectif de la crise du Covid 19 – Service Réanimation Hôpital Beaujon –Juin 2020

Séquence 2 : La réalisation d’un arbre de vie géant de l’équipe documenté à l’aide autour de 3 questions principales.

Pourquoi avons-nous choisi ce métier ?

Quelles sont nos qualités?  Chacun adresse une qualité dont il a été témoin pendant la crise à une ou plusieurs personnes du groupe et explique pourquoi.

Quels sont nos espoirs pour demain ?

La reconnaissance s’exprime sur la place prise par chacun au sein du groupe, sur ses qualités professionnelles, sur l’attachement partagé au métier et à l’hôpital. C’est aussi l’occasion de se reconnecter pour chacun au sens de leur métier, de leur engagement, de raconter des histoires intimes, de se découvrir, de se projeter dans l’avenir. L’arbre constitue aussi une documentation graphique qui leur a été offerte en fin d’accompagnement.

Le groupe est sollicité pour décider du public à inviter à la cérémonie de reconnaissance : l’étape finale de notre dispositif. Assez rapidement les propositions d’invitations arrivent aussi diverse que le DG, leur ancienne chef de service, et puis : un journaliste, la voisine qui nous faisait des cookies, un patient …

Séquence 3 : la cérémonie définitionnelle que nous décidons de nommer « Cérémonie de la reconnaissance ».

Chacun des soignants de l’équipe s’exprime seul debout face au public, en racontant un moment d’émotion et de prise de conscience vécu pendant la crise.

Cette expression se fait de manière très spontanée l’un après l’autre sans ordre préétabli, elle donne lieu à de nouveaux récits très représentatifs de leur engagement à essayer de sauver les malades, à les prendre en charge en relation avec leurs familles malgré les contraintes nouvelles des règles de sécurité. Des récits de leurs peurs aussi les mettant face à nous dans la pleine expression de leur courage, de leurs peurs et d’humanité. Des applaudissements concluent chacun des témoignages.

Un acteur de théâtre lit le texte de leurs témoignages s’adressant ainsi face à leurs auteurs, une façon d’honorer leur courage et leurs forces et aussi d’externaliser leurs souffrances.

S’agissant du public, si toutes les personnes sollicitées n’ont pu être présentes, d’autres se sont ajoutées. Ainsi sont réunis : une journaliste de France-Inter, un photographe, des représentants de la direction de l’hôpital, les psychologues du service, d’autres professionnels …et un patient qui avait passé 6 semaines inconscient dans le service. Il s’exprime en dernier, il dit sa peur de revenir dans ce lieu, et son contentement d’être là pour eux et de participer à cette cérémonie.

Le public est sollicité pour réagir en suivant un questionnement précis et orienté par le guide du témoin extérieur, l’intention n’étant pas de faire un simple feed-back mais bien de partager en quoi ces récits résonnent personnellement avec l’expérience de ces soignants.

La participation de France Inter, l’enregistrement de toute la cérémonie a donné de l’importance à ce moment et a en assuré la démultiplication.

https://www.franceinter.fr/info/la-peur-la-solidarite-l-humanite-quand-des-soignants-temoignent-de-la-crise-covid-a-leur-direction

Emission grand angle en date du 9/07/20

https://www.franceinter.fr/emissions/grand-angle?p=2

Ce que nous avons appris de cette démarche dans ce contexte :

1°) La spécificité des liens qui se sont créés pendant la crises : face à l’inconnu la solidarité entre professionnels et l’attachement aux valeurs humaines des métiers du soin reprennent toute leur place. Les récits de la crise COVID disent à la fois la gravité de la situation et la solidité de l’engagement des professionnels pour l’affronter. Cette crise sans précédent (en durée, en ampleur, et en visibilité) a fait disparaître les clivages professionnels habituels des personnels hospitaliers, elle a rendu visible dans toute la société travail des soignants, et a suscité une mobilisation collective impressionnante.

2°) La puissance de la reliance. Nous avons appréhendé la reconnaissance comme une dynamique d’écoute puis d’amplification des histoires individuelles et collectives au-delà du seul aspect hiérarchique. Il ne s’agit pas de remercier, il s’agit de partager ce qui a été fait, ce qui a été vécu, de se redire les valeurs qui nous relient. Notre but était bien de faire vivre au groupe une expérience de reconnaissance entre eux puis avec les témoins, et enfin auprès du grand public.

3°) La frugalité du dispositif : au total 3 rendez-vous d’environ 2H, le dispositif nécessite certes beaucoup de préparation mais peu d’intervention. Cela constitue une vraie opportunité pour le déployer plus largement. Un autre groupe est d’ailleurs en cours d’accompagnement à l’hôpital Saint Louis.

4°) L’intérêt de la documentation : les différentes documentations élaborées au cours de la démarche avec les mots des participants permettent à la fois de mettre à distance, puis de valoriser les personnes et leurs histoires.

5°) La force du rituel de la cérémonie : un grand moment de partage et pour tous le moyen d’honorer le collectif, et de marquer la fin d’une période, de le célébrer.

 

Article écrit par Laurence Sarton et Anne-Sophie Michel – Le 14 août 2020

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