Cherchez le bouc-émissaire

Pendant la crise covid-19, les fonctions supports informatiques ont été soumises à forte pression car les entreprises n’étaient pas toutes prêtes à passer en télétravail. On a pu observer une forme d’agressivité tournée vers ces fonctions-là et des bouc-émissaires ont émergé. Ici et là. Ce phénomène archaïque se produit constamment dans les équipes et les organisations, et plus particulièrement en période de crise.

L’expérience montre qu’il existe des fonctions bouc-émissaires et même des départements bouc-émissaires. Cela peut-être, selon les cultures d’entreprise, “la DSI qui ne nous soutient pas assez”, ou “la DRH qui ne sert à rien” ou le bureau d’étude “pas assez réactif, qui nous fait perdre des contrats” d’après les commerciaux, ou dépend aussi des contextes : crise, changement de cultures… Jacques-Antoine Malarewicz, psychiatre et consultant en entreprise, rappelle que le bouc-émissaire est une « soupape d’échappement » qui détourne l’attention d’autres problèmes plus importants. Il permet au système de « se détendre ». En effet, le moteur ultime du phénomène, c’est la préservation du tabou du groupe comme le sujet dont personne n’ose parler : « une lutte de territoire », « les affinités des uns et des autres », « des fonctions star dans l’entreprise »…

En entreprise, cette mécanique se développe souvent dans les équipes dont l’identité, les rôles et les missions de chacun ne sont pas clairs : le bouc-émissaire cimente le groupe autour d’une polarité commune. D’ailleurs, lorsqu’un bouc émissaire donné est définitivement écarté, un autre est désigné pour le remplacer dans ce rôle expiatoire. Ce bouc-émissaire peut se trouver à l’intérieur ou à l’extérieur de l’équipe ; Il dénonce par ses actions directement ou indirectement ce flou dans l’équipe qui réagit plus ou moins fortement afin de tenter de maintenir un équilibre.

Martin est devenu bouc-émissaire dès son arrivée à la Direction Marketing car, venant d’un univers très différent, il n’a pas respecté les us et coutumes de sa nouvelle entreprise. Or, il était justement recruté pour son expertise métier avec pour mission d’augmenter le professionnalisme de la fonction. Mais dès la première réunion du codir, sa communication a été jugée « trop directe ». En outre, il a osé adresser des sujets sensibles dont il était mal vu de parler. Pour couronner le tout, il a pris en charge un sujet qui faisait partie de son périmètre officiel, mais était en fait sous la coupe d’un autre directeur qui se l’était attribué de façon officieuse. Inévitablement Martin s’est mis à dos tout le codir qui parlait à son sujet d’«erreur de casting ». Le DG a imposé un coaching à Martin, pour l’aider à prendre sa place. De façon intéressante, le coaching surtout a permis de révéler le processus de « bouc-émissérisation » issu du flou dans les délimitations des périmètres mais aussi des injonctions paradoxales à son égard, qu’on pourrait résumer ainsi : « apporte du changement, mais surtout ne change rien ! ». Martin s’est bien approprié son coaching pour en faire un levier d’intégration dans le codir. Il a pu retrouver l’intégralité de son périmètre tout en assouplissant sa communication de façon à mieux collaborer avec ses pairs.

La régulation avec un tiers est très souvent un moyen efficace pour désenclencher les processus de régulation. Lors du séminaire de médiation entre l’équipe du bureau d’étude et les commerciaux, les ingénieurs « bouc-émissérisés » ont pu partager leur sentiment d’injustice qui a été entendu. Les commerciaux se sont rapidement rendu compte que le problème ne venait pas tant du bureau d’étude mais de l’organisation « pas claire », d’objectifs « non partagés », d’une vision qui n’était « pas définie ». Ayant ensemble réalisé le diagnostic de ces dysfonctionnements, ils ont décidé de devenir acteurs plutôt que de les subir. Ensemble, ils se sont attaqués à l’écriture de leur charte de fonctionnement pour s’assurer qu’il n’y ait plus de bouc-émissaire dans le futur. Ce faisant, ils ont découvert le plaisir de co-créer une œuvre commune.

Comment faire avec de tels processus ? Le risque majeur lorsqu’on tente de stopper soi-même un mécanisme de bouc-émissaire est de le renforcer ou de devenir le bouc-émissaire. Une première étape est d’abord d’être capable de repérer ce phénomène et les conditions qui favorisent sa mise en place. Le travail avec un tiers facilite cette première étape. Il pose un cadre qui permet ensuite de mettre en place un espace de la régulation afin que la parole puisse à nouveau circuler et que des tabous soient levés au sein du collectif. Suivra un travail de clarification des modes de fonctionnements, des rôles, des objectifs et/ou des périmètres toujours en présence d’un tiers dont le rôle sera de développer in situ les compétences du collectif de sorte ne plus entrer dans un tel processus.

 Article co-écrit par Chloé Ascencio et Magali Thoraval

close

Newsletter

Abonnez-vous pour recevoir les dernières publications de Connecteam

Nous ne spammons pas ! Consultez notre politique de confidentialité pour plus d’informations.

Partager cet article

Facebook
Twitter
LinkedIn