Comment vous y prenez-vous pour réussir ? Pour moi, c’est très simple. Avant d’écrire une newsletter par exemple et bien je fais un tas de choses extraordinaires. Je me fais d’abord une tasse de thé, du Earl Grey de préférence. J’investis la toile à la recherche des sujets intéressants du moment. Je change éventuellement de pièce pour être sûre de me trouver dans la bonne pour écrire, celle qui m’inspire. Je choisis aussi le stylo parfait, celui dont la plume glisse….Bref, j’ai d’excellentes idées pour ne pas faire, pour reporter, pour me disperser partout ailleurs que dans ma newsletter.
Ce n’est pas bien vu. Je sais. Surtout pour un coach dont une partie du travail est d’aider ses clients à passer à l’action. Ce n’est pas bien vu non plus dans les entreprises où l’heure est à la proaction. Oui, la « procrastin-action » avec toutes ses possibilités de reporter, différer, se détourner n’est pas la bienvenue. Et pour cause, ses cotés sombres affaiblissent l’organisation (non respect des dead-line, immobilisme, non-prise de décisions, conflits interpersonnels) et détériore l’image de soi (sentiment d’échec, décalage de rythme, culpabilité, insatisfaction). Bref, elle a mauvaise presse et elle n’est pas faite pour vivre dans nos temps où tout est urgent.
Agir, entreprendre, être proactif ont plus de valeur aux yeux des entreprises au point d’entraîner bon nombre de collaborateurs dans des spirales de sur-activité où s’enchainent les actions et se déchainent les enfers de l’épuisement et du surmenage. Les risques sont précisément là dans la (sur)valorisation à être actif et son l’injonction permanente faisant appel à un volontarisme forcené car le temps presse. Avancer coûte que coûte, agir quitte à défaire, gérer des « to-do-list » sans fin. Tout cela épuise et malmène l’enthousiasme et le désir.
« Procrastiner = Défaut » : une vision trop simpliste. En effet, parlons de Sylvie, responsable d’une équipe commerciale de 200 personnes, qui lance dépitée en séance: « vous me connaissez, je procrastine ! ». Sylvie me surprend. Comment cette femme, cadre supérieure, manager hors paire, peut-elle dire qu’elle procrastine alors qu’elle ressemble plus à un bourreau de travail ? N’est-elle pas plutôt en train d’échapper à la suractivité ambiante de son environnement ? Est-elle en train de résister à cette idée qu’un manager de son niveau doit toujours entreprendre pour être au top? Je l’interpelle: « à quoi résistez-vous Sylvie en procrastinant ? ». Elle est interloquée car elle ne s’y attendait pas. Exit le côté sombre de la procrastination, celui qui a beaucoup trop de chances de nous conduire vers des histoires de culpabilité et d’insatisfaction.
« Procrastiner = histoires de préservation ou de résistance,… » : Procrastiner peut aussi indiquer des directions de travail précieuses pour la personne, par exemple :
- Le temps : La nécessité de ralentir la cadence, le besoin de mettre en place du temps de réflexion et de maturation utiles pour soi comme par exemple dans mon cas lorsque j’écris ma newsletter ; mais aussi le temps nécessaire pour retrouver du sens à l’action ou que les conditions favorables à l’action puissent se mettre en place (lire l’article « Agir et non agir » : http://chloeascencio.com/fr/category/management-chinois/).
- Des compétences et des ressources qui peuvent finalement s’avérer difficiles à mobiliser : la personne ne sait pas forcément comment identifier ce qui est prioritaire ou comment s’y prendre pour avancer un sujet comme avec Sylvie, notre talentueuse manager, empêtrée dans des jeux relationnels qui l’empêchent de penser et dérouler sa nouvelle organisation. Il est d’ailleurs très utile d’aller explorer les compétences activées pour ne pas faire ce qui doit être fait, car le plus souvent on se rend compte que les compétences sont bien là et même plus encore !
- Les valeurs, les croyances, les intérêts défendus (par les personnes) et qui s’expriment dans la difficulté à s’y mettre. C’est ce que Frédéric a compris : « Je n’arrive pas à chercher un poste en interne car je trouve foncièrement injuste d’avoir accès à moins d’offres d’emploi que mes collègues qui, pour des raisons historiques, ont un statut différent du mien ».
La procrastination cache donc bien d’autres récits que ceux de l’incompétence mais aussi, elle invite, me semble-t-il chacun à s’interroger sur sa propre capacité à agir aussi sans la pression du temps.
Pour aller plus loin avec la procrastination, un livre amusant de John Kerry présenté par France Culture : http://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-1ere-partie/petit-eloge-de-la-procrastination#