Nommer le réel

Le coach narratif recueille, au plus près de l’expérience vécue, les témoignages de ces moments inédits où nous avons consenti à l’assignation à résidence et accepté l’interdiction d’aller et venir dans un espace public déserté, quadrillé, surveillé.  Le virus circule toujours mais moins qu’ailleurs si on élargit le regard.

Michael White, l’initiateur des thérapies narratives, avait très tôt incorporé à sa pratique les analyses de Michel Foucault sur le « biopolitique » et l’assujettissement social, la servitude volontaire comme intériorisation de la contrainte. Contrôles exercés sur les corps imposés par une norme sanitaire élevée en règle de gouvernance.

Mais que vaut une théorie du pouvoir moderne si elle ne décrit pas ce qu’il y a d’inouï dans le surgissement de l’inattendu ? Quelle est sa portée si elle ne dit rien du rétrécissement de la vie. Des enfants disparus des écrans radars de l’école, des solitudes, du huis clos des violences familiales, de l’impossibilité du droit de visite et de l’accompagnement dans la mort ? Quelle est sa portée si elle ne dit mot de nouvelles formes de solidarité et d’entraide qui ont brisé les cloisonnements et résisté à l’enfermement ? Comment nommer le réel ?  Sidération ? Mise en demeure des corps ? Pas seulement.

Dans ce temps suspendu, des convivialités inédites ont été improvisées, originales, chaleureuses, éphémères, aux balcons, sur les pas de portes, au seuil des immeubles.  Les « réseaux sociaux » dont on ne soupçonnait pas qu’ils puissent mériter ce nom ont parfois réussi à retrouver leur sens premier : faire société et non la défaire.

Préserver le vivre ensemble, maintenir le lien professionnel, là était l’essentiel : des histoires à partager, des cours en ligne, des « visioconférences », des musiques à entendre, des films projetés sur les façades, des concertistes esseulés réunis sur des écrans rassemblés. Des danses hors les murs. Casser la barrière des solitudes derrière les gestes-barrières, suppléer à l’isolement, à l’absence de la chaleur des corps.

Et s’il s’agissait maintenant d’amplifier ces histoires et d’étoffer ces moments d’exceptions ? Après le confinement, mettre la plainte et les souffrances à distance, les externaliser. Parler de ces élans de solidarité et en dégager un horizon de sens.  Certains ont commencé à le faire. Dans des hôpitaux des personnels soignants organisent des cérémonies de reconnaissances qui s’apparentent aux « cérémonies définitionnelles » des Pratiques Narratives. A quelles valeurs répondent ces élans de solidarité ? Que disent ces engagements immédiats ? Que recèlent-ils de sacrifice et d’humanité ?

Dans ces moments de « confinement » des mots inusités ont trouvé droit d’usage. La « distanciation sociale », sonnait comme d’avoir à rester chacun dans sa case, dans sa classe. D’autres, plus techniques et froids, le « présentiel » et son double inversé, « le distanciel » pour dire l’enfermement, l’émergence du télé travail et les rendez-vous sur les écrans partagés. Pauvres mots et pauvres visages réduits et alignés au format de timbre poste, vacillants au gré de liaisons techniques aléatoires, mais visages cependant, souriants et lumineux parfois, présence altérée mais maintenue à travers le prisme rétréci de nos écrans pixélisés.

La parole partagée s’avère salutaire. Il y a là un vaste champ où les cartes des Pratiques Narratives ont commencé utilement à lâcher la bride aux mots pour donner du corps et du sens à tant d’expériences accumulées et de l’espace à ces récits.

Article écrit par Henri Perilhou

 

 

close

Newsletter

Abonnez-vous pour recevoir les dernières publications de Connecteam

Nous ne spammons pas ! Consultez notre politique de confidentialité pour plus d’informations.

Partager cet article

Facebook
Twitter
LinkedIn